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Le titre du livre : La Conquête du Pain doit être pris dans le sens le plus large, car « l’homme ne vit pas de pain seulement. » À une époque où les généreux et les vaillants essaient de transformer leur idéal de justice sociale en réalité vivante, ce n’est point à conquérir le pain, même avec le vin et le sel, que se borne notre ambition. Il faut conquérir aussi tout ce qui est nécessaire ou même simplement utile au confort de la vie ; il faut que nous puissions assurer à tous la pleine satisfaction des besoins et des jouissances. Tant que nous n’aurons pas fait cette première « conquête », tant qu’il « y aura des pauvres avec nous », c’est une moquerie amère de donner le nom de « société » à cet ensemble d’êtres humains qui se haïssent et qui s’entre-détruisent, comme des animaux féroces enfermés dans une arène.
-Tresse & Stock, 1892 (p. v-xv)
Si la prochaine révolution doit être une révolution sociale, elle se distinguera des soulèvements précédents, non seulement par son but, mais aussi par ses procédés. Un but nouveau demande des procédés nouveaux.
Les trois grands mouvements populaires que nous avons vus en France depuis un siècle diffèrent entre eux sous bien des rapports. Et cependant ils ont tous un trait commun.
Le peuple se bat pour renverser l’ancien régime ; il verse son sang précieux.1
1. Ceci est évident aujourd’hui et impacte la minorité. Le racisme structurel est enraciné dans le gouvernement et la société des Etats Unis, par conséquent le système alimentaire est raciste aussi. Les États Unis ont été fondés en exploitant les personnes indigènes et les personnes noires des manières les plus grotesques et cela persiste jusqu’à nos jours.
Puis, après avoir donné le coup de collier, il rentre dans l’ombre. Un gouvernement composé d’hommes plus ou moins honnêtes se constitue, et c’est lui qui se charge d’organiser : — la République en 1793 ; le travail en 1848 ; la Commune libre en 1871.
Imbu des idées jacobines, ce gouvernement se préoccupe avant tout
des questions politiques: réorganisation de la machine du pouvoir, épuration de l’administration, séparation de l’Église et de l’État, libertés civiques, et ainsi de suite.2
2. Le gouvernement actuel ne se préoccupe pas du racisme qui existe dans l’USDA, qui continue de refuser des prêts et des subventions aux agriculteurs noirs.
Il est vrai que les clubs ouvriers surveillent les nouveaux gouvernants. Souvent, ils imposent leurs idées. Mais, même dans ces clubs, que les orateurs soient des bourgeois ou des travailleurs, c’est toujours l’idée bourgeoise qui domine. On parle beaucoup de questions politiques— on oublie la question du pain.3
3. Actuellement, 75% des cadres supérieurs de l’industrie alimentaire sont blancs. Les cadres noirs n’occupent que 6,5% des postes de direction. Le pain c’est aussi le temps.[Bread on Earth]
De grandes idées furent émises à ces époques, — des idées qui ont remué le monde ; des paroles furent prononcées qui font encore battre nos cœurs, à un siècle de distance.
Mais le pain manquait dans les faubourgs.4
4. Ici, Kropotkine parle des droits humains, des droits de base que mérite toute personne par le fait même de son existence. Ceci peut-être lié aux système alimentaire des Etats Unis qui discrimine non seulement selon le statut social mais selon la race aussi, en augmentant les prix de la nourriture à forte valeur nutritive et en offrant la malbouffe à foison.
Dès que la révolution éclatait, le travail chômait inévitablement. La circulation des produits s’arrêtait, les capitaux se cachaient. Le patron n’avait rien à craindre à ces époques : il vivait de ses rentes, s’il ne spéculait pas sur la misère ; mais le salarié se voyait réduit à vivoter du jour au lendemain.5
5. En 2021 on voit partout des personnes sans domicile fixe, et des ouvriers qui ne gagnent à peine assez pour s’acheter une bouchée de pain. Alors que les patrons, et d’autres exploiteurs se font riches sur le dos des travailleurs.
La disette s’annonçait.
La misère faisait son apparition — une misère comme on n’en avait guère vu sous l’ancien régime. — « Ce sont les Girondins qui nous affament », se disait-on dans les faubourgs en 1793. Et on guillotinait les Girondins ; on donnait pleins pouvoirs à la Montagne, à la Commune de Paris. La Commune, en effet, songeait au pain. Elle déployait des efforts héroïques pour nourrir Paris. À Lyon, Fouché et Collot d’Herbois créaient les greniers d’abondance ; mais pour les remplir on ne disposait que de sommes infimes. Les municipalités se
démenaient pour avoir du blé ; on pendait les boulangers qui accaparaient les farines — et le pain manquait toujours.
Alors, on s’en prenait aux conspirateurs royalistes. On en guillotinait, douze, quinze par jour, — des servantes avec des duchesses, surtout des servantes, puisque les duchesses étaient à Coblentz. Mais on aurait guillotiné cent ducs et vicomtes par vingt-quatre heures, que rien n’aurait changé.
La misère allait croissant. Puisqu’il fallait toujours toucher un salaire pour vivre, et que le salaire ne venait pas, — que pouvaient faire mille cadavres de plus ou de moins ?
Alors le peuple commençait de se lasser. — « Elle va bien, votre Révolution ! » soufflait le réactionnaire aux oreilles
du travailleur.« Jamais vous n’avez été aussi misérable ! » Et peu à peu, le riche se rassurait ; il sortait de sa cachette, il narguait les va-nu-pieds par son luxe pompeux, il s’affublait en muscadin, et il disait aux travailleurs : — « Voyons, assez de bêtises ! Qu’est-ce que vous avez gagné à la Révolution ? Il est bien temps d’en finir ! »6
6. Ceci est la même chose que disent les grandes entreprises quand on leur dit que la solution ne se trouvera pas du côté de leurs intérêts et leurs programmes qui dépendent de la production de la nourriture malsaine et sans aucune valeur nutritive . Ils pensent toujours que l’exploitation du peuple est une idée démagogique et que la plupart des Etats Unis n’est pas mal-nourrie.
Et le cœur serré, à bout de patience, le révolutionnaire en arrivait à se dire : « Perdue encore une fois, la Révolution ! » Il rentrait dans son taudis et il laissait faire.
Alors la réaction s’affichait, hautaine. Elle accomplissait son coup d’État. La Révolution morte, il ne lui restait plus qu’à piétiner le cadavre.
Et on le piétinait ! On versait des flots de sang ; la terreur blanche abattait les têtes,
peuplait les prisons, pendant que les orgies de la haute pègre reprenaient leur train.
Voilà l’image de toutes nos révolutions. En 1848, le travailleur parisien mettait « trois mois de misère » au service de la République, et au bout de trois mois, n’en pouvant plus, il faisait son dernier effort désespéré, — effort noyé dans les massacres.
Et en 1871 la Commune se mourait faute de combattants. Elle n’avait pas oublié de décréter la séparation de l’Église et de l’État, mais elle n’avait songé que trop tard à assurer le pain à tous. Et on a vu à Paris la haute gomme narguer les fédérés en leur disant : « Allez donc, imbéciles, vous faire tuer pour trente sous, pendant que nous allons faire ripaille dans tel restaurant à la mode ! » On comprit la faute aux derniers jours ; on fit la soupe communale ; mais
c’était trop tard : les Versaillais étaient déjà sur les remparts !
— « Du pain, il faut du Pain à la Révolution ! »
Que d’autres s’occupent de lancer des circulaires en périodes éclatantes ! Que d’autres se donnent du galon tant que leurs épaules en pourront porter ! Que d’autres, enfin, déblatèrent sur les libertés politiques !…
Notre tâche, à nous, sera de faire en sorte que dès les premiers jours de la Révolution, et tant qu’elle durera, il n’y ait pas un seul homme sur le territoire insurgé qui manque de pain, pas une seule femme qui soit forcée de faire queue devant la boulangerie pour rapporter la boule de son qu’on voudra bien lui jeter en aumône, pas un seul enfant qui manque du nécessaire pour sa faible constitution.7
7. Le problème en 2021 n’est plus vraiment le “pain” mais que les aliments sains et essentiels, qui nous apportent le plus de vitamines et nous nourrissent vraiment ne sont pas mis à la disposition de la majorité de la population des Etats Unis. C’est la qualité qui manque à cause de l’avidité du 1%.
L’idée bourgeoise a été de pérorer sur les grands principes, ou plutôt sur les grands mensonges. L’idée populaire sera d’assurer du pain à tous.8
8. Par conséquent le but est de pouvoir assurer de la nourriture de qualité à toute la population des États Unis.Et, pendant que bourgeois et travailleurs embourgeoisés joueront les grands hommes dans les parlotes ; pendant que « les gens pratiques » discuteront à perte de vue sur les formes de gouvernement, nous, « les utopistes », nous devrons songer au pain quotidien.
Nous avons l’audace d’affirmer que chacun doit et peut manger à sa faim, que c’est par le pain pour tous que la Révolution vaincra.